dimanche 18 mai 2014

L'éloge du consommateur idiot




 
Incroyable article de Cyrille Frank. Je reste pantois devant tant de raccourcis. Il faut dire que je tombe de haut. D'une, de mon “piédestal” d'informaticien autodidacte, je ne considère pas le Geek comme une espèce à part. Tout juste comme un besogneux, capable de comprendre ce qu'il se passe à peu près quand on tape sur une touche de clavier. Deuxièmement, j'ai de l'estime pour ce blog qui explore les solutions techniques aux difficultés du journalisme. En effet, la chute inexorable des ventes commence même à atteindre les magazines et souligne la défiance vis à vis du journaliste presque autant haï que le politicien. Le point de vue que j'ai lu m'a déçu.  Passons en revue les contradictions et amalgames de @cyceron avec l'impossibilité d'être exhaustif.
«les pontes de la Silicon Valley et les vendeurs de pelles ne jurent que par ces innovations incroyables qui vont changer nos vies, ils en sont sûrs. C’est oublier un peu vite les freins socio-culturels. »
On parle de qui, de quel endroit ? Des freins socio-culturels de la Silicon Valley ou de la perception que l'on peut avoir en France d'une élite économique ? Sachant que la structure d'investissement américaine est différente du schéma économique de la métropole ? Le constat du fonctionnement qui a prévalu jusque là est mis en évidence par le dernier rapport du Sénat sur l'économie numérique. Il n'y a pas de confusion c'est bien là-bas, qu'ils veulent changer le monde... En France, tout va très bien merci. (notez l'ironie). Toutefois, il y a des expérimentations que je trouve extraordinaire d'objets connectés ici et , parce que bon, heureusement...


« une presse technologique enthousiaste »
Ah ! Donc la presse, les journalistes se doivent d'être neutres ou passionnés ?  La peste ou le choléra d'une certaine manière. Cette phrase dite avec un certain cynisme implique que l'innovation devrait faire l'objet d'une analyse rigoureuse et prospective afin d'en mesurer l'impact financier et humain. Dommage en effet qu'on ne l'ait pas fait pour le débarquement en Normandie, les essais nucléaires, le canon, l'astronomie (mention spéciale pour cette discipline qui consiste à regarder les étoiles...)

En passant, je préférerais être en révolution démocratique permanente plutôt qu'en révolution technologique permanente, mais au fond on a que ce qu'on mérite.


« Pourtant, régulièrement depuis 15 ans, la Silicon Valley se plante »
Alors, cette phrase est proprement exceptionnelle. D'une, c'est faux parce que la logique d'allier business et R&D a permis à la Californie de devenir une énorme puissance financière. Par ailleurs l'échec à la Silicon Valley n'est pas négatif. Bien au contraire, la valeur que l'on donne à l'échec et à l'exemplarité d'un plantage n'a pas d'équivalent en France. Dans cet espace où se confinent petites start-up naissantes et monstres économiques, échouer est une base pour construire quelque chose de mieux, de plus efficace. Tout perdre puis tout reconstruire est ce qui nourrit l'innovation de la Silicon Valley. Je n'envie pas du tout ce mode de fonctionnement mais la logique «française» qui part du principe qu'un échec doit sonner le glas d'une innovation a démontré sa faiblesse. Il n'y a qu'à voir la capacité de la France à créer des initiatives aussi puissantes que Facebook ou Google. Je pense que là l'histoire donne une leçon qu'il serait sage de recevoir, avant de prôner le statu quo...

« Lorsqu’elle porte au pinacle en 2003 un réseau social en 3D, le fameux “Second Life”. Une plateforme totalement moribonde aujourd’hui pour n’avoir conquis, dès l’origine, qu’une poignée d’ultra-branchés. »

L'association des bimondiens
s'est créé suite à la fermeture du Deuxième Monde
Sur Second Life... comment dire. J'aurais aimé que le « Deuxième Monde » de Canal Plus ait autant de succès, mais parce qu'en France on a peur des échecs, l'expérience a été abandonnée. Le « Deuxième Monde » a été créé avant Second Life. J'imagine qu'ils auraient aimé avoir autant de d'utilisateurs que Second Life. Ces expériences innovantes  ont permis de fonder notamment le principe de commerce virtuel. Ces plateformes permettant d'acheter des boissons, des vêtements, fabriqués par des utilisateurs du réseau. Au delà d'un certain dédain, il faut rappeler que ce business a généré prés de 2,2 milliards de $ en 2009. l'innovation succède aux echecs et permet de créer du savoir et de la compétence. Ces démarches créatrices répondent toujours à un besoin. Elles sont le symptôme d'une société par l'adhésion qu'elles provoquent.

Je vais finir avec la longue traîne... parce que je réalise qu'il faudrait une encyclopédie pour démonter les idées reçues sur un univers. Et ceci n'est qu'un billet d'humeur.
« Elle a tort encore, quand elle annonce une nouvelle ère de diversité culturelle grâce à la “longue traîne”, théorie développée par Chris Anderson, ancien rédacteur en chef du magazine Wired. Hypothèse (hélas invalidée), selon laquelle le numérique permettant une diversification infinie de l’offre (pas de problème de stockage, ni distribution), il favorise la diversité de la consommation culturelle. [..] aujourd’hui comme avant, les mêmes blockbusters tiennent le haut du pavé des ventes de biens culturels (livre, musique etc.)»

 Ce n'est pas la thèse principale de la longue traîne. La globalisation de la consommation  a trouvé avec Internet une réponse efficace. Si dans une grande ville, il y a des quartiers spécialisés sur tel ou tel produit, vu le nombre de clients potentiels le commerçant trouvera des acheteurs. Ce qui rend économiquement viable l'existence d'un magasin de boutons, pour reprendre un des exemples cités dans le livre.

L'étude de Chris Warker était partie du constat du potentiel de vente d'Amazon.  Quelle boutique, quel hypermarché pourrait jamais rivaliser avec le choix proposé par de telles enseignes qui n'ont plus de limite de rayonnages ? Simplement on peut comparer le nombre de références disponibles dans un magasin et le nombre de références disponibles sur Amazon. On peut rétorquer qu'un fan fera l'effort d'aller dans sa boutique préférée pour trouver le CD de son groupe underground, Madame Michu, puisqu'on parle beaucoup d'elle, ne fera pas l'effort par manque de connaissance tout simplement.

Elle en restera au choix proposés. Tout comme monsieur Michu, soit dit au passage... Sur un site internet, la consommation de produits culturels sera différente, puisqu'il y a moins de barrières sociales. La compétence n'est pas jugée, on peut vouloir écouter « Houcine Slaoui », on peut être 1 sur 30 millions à savoir qui c'est.. mais la longue traîne (et Internet) permet de pouvoir l'écouter. Ce n'est donc pas aux artistes indépendants que la longue traîne s'adresse mais à la diversité culturelle et à sa diffusion. Monsieur ou madame Michu achèteront donc bien Oulm Kalsoum, parce que c'est incontournable mais auront aussi la possibilité d'acheter des choses plus exotiques. La consommation de produits de masse n'est pas incompatible avec la diversification culturelle.



Cette diversité de choix permet notamment de remplir le panier moyen d'un site internet alors que ce ne sera pas possible dans une boutique. Un client de perdu. La diversité culturelle ne s'arrête pas à la culture underground, elle a aussi un lien avec l'histoire, un lien avec ce qu'on ne connaît pas. Je dirais même que c'est justement là l'intérêt de la diversité culturelle, la sérendipité qui était l’apanage des scientifiques est désormais accessible à tous. Elle nous permet à tous de sortir de la case où la société, la famille, le groupe d'amis nous a installé.

Bref cet article est un monument dédié aux Trolls. Il me parait donc plus adapté d'en discuter autour d'une bière de manière tout à fait vive et passionnée.